Kukum de Michel Jean : la vie d’Almanda Siméon et des Innus du Lac-St-Jean

Kukum de Michel Jean

La vie d’Almanda Siméon et des Innus du Lac-St-Jean

Dans son plus récent roman Kukum, le chef d’antenne de TVA Nouvelles, auteur et journaliste Michel Jean nous amène à la découverte de son peuple autochtone, les Innus, à travers l’histoire fascinante de son arrière-grand-mère Almanda Siméon à Mashteuiatsh (Pointe-Bleue), en territoire innu, au Lac-Saint-Jean. Et cette histoire vaut le détour.

Couverture de Kukum de Michel JeanKukum nous plonge à l’époque des pionniers de la colonisation du Lac-St-Jean. Almanda fait la rencontre de l’arrière-grand-père de Michel Jean, Thomas Siméon, pour qui elle a un coup de foudre réciproque. Elle dit ainsi adieu à ses deux parents adoptifs (désignés comme étant son oncle et sa tante) pour embrasser la culture innue et son nomadisme à la fin du 19e siècle. Étant encore une adolescente (même si le terme n’existait pas encore à l’époque) lorsqu’elle épouse Thomas, elle intègre ainsi le clan des Siméon. Elle y apprend progressivement leur mode de vie quotidien, la langue et la culture des Innus au point où elle en devient une elle-même de cœur au cours des années.

Almanda vécut une magnifique histoire d’amour avec Thomas avec qui elle a eu plusieurs enfants, tous élevés dans la forêt. En même temps, on la suit dans les multiples aventures du clan Siméon à travers Nitassinan. On saisit également les bouleversements entrainés par la colonisation du Lac-St-Jean et les débuts de l’industrie forestière. Nous vivons aussi, à travers ses yeux et le récit de l’auteur qui rapporte ce témoignage visuel, le drame de la sédentarisation forcée du peuple innu et des enfants enlevés aux familles de Mashteuiatsh pour être amenés de force dans des pensionnats religieux. Un traumatisme vécu et internalisé par la plupart des autochtones du Québec.

Le tout forme un témoignage captivant de la vie de l’arrière-grand-mère de M. Jean, ponctué à la fois de moments tantôt tendres, tantôt dramatiques, tantôt révoltants, mais jamais ennuyants. La prose vivante et au style simple du journaliste, ayant le sens du récit propre à son métier, rend l’histoire de la vie d’Almanda Siméon captivante et contemplative en même temps. La nature et ses éléments, omniprésents, nous font voyager et nous sortent de notre confort moderne du 21e siècle en nous replongeant à la fin du 19e siècle et dans la première moitié du 20e siècle. Et le récit nous hante longtemps après en avoir terminé la lecture, chose que j’ai accomplie en deux jours à peine!

Bref, Michel Jean nous livre, avec Kukum, un récit envoûtant se situant entre le récit biographique et le roman à propos de son arrière-grand-mère Almanda Siméon. Si vous avez envie de savourer une histoire et d’en apprendre un peu plus sur la vie et le quotidien des Innus du Saguenay—Lac-St-Jean avant la sédentarisation et les pensionnats, je vous le recommande chaudement.

Le sadomasochisme selon Carlos Seguin

Essai Le sadomasochisme par Carlos Seguin

Plein feux sur le sadomasochisme

Carlos Seguin nous présente un essai sur le sadomasochisme. Il décortique cette sexualité alternative prenant source dans le plaisir à travers la souffrance, et ce, en se penchant sur ses dimensions médical, philosophique, littéraire et artistique. Critique.

Anders Turgeon Dossiers Littérature, Essais

carlos-seguin-essai-sadomasochismeCarlos Seguin, prof émérite de rédaction à l’Université de Montréal et grand consommateur de littérature, nous propose un essai fort sympathique sur un phénomène qui semble de moins en moins méconnu, le sadomasochisme, plus communément appelé BDSM.

En effet, son essai intitulé Le sadomasochisme nous permet de nous introduire dans un univers où la sexualité se veut à la fois source de souffrance et de plaisir. Il prend un grand soin de nous détailler d’où vient le mot sadomasochisme, soit la contraction du sadisme (celui qui inflige) et du masochisme (celui qui subit). Si vous pouvez deviner la source du premier mot, je vous laisse lire l’essai pour découvrir les origines du second…

En huit chapitres répartis sur 92 pages, l’auteur retrace les premiers pas du sadomasochisme en tant que phénomène sexuel et social. Sur deux chapitres, il s’attarde sur la perspective psychanalytique du sadomasochisme selon Freud et Theodor Reik. Ensuite, sur deux autres chapitres, il discute des aspects philosophiques et sociétaux du phénomène en se basant sur l’analyse de Gilles Deleuze et d’autres intellectuels durant la 2e moitié du 20e siècle. Ayant survolé l’œuvre de Pat Califa pendant un chapitre, il termine en consacrant un chapitre sur les fantasmes sadomasochistes dans le film Romance de Catherine Breillat. Un programme chargé qui s’avère cependant d’une grande fluidité.

Bien écrit, besoin de plus d’information

Écrit dans une langue exemplaire et un style simple, l’essai de Carlos Seguin se lit assez bien malgré quelques passages

qui demanderaient une deuxième lecture afin de saisir les propos énoncés. Malgré ce pépin, l’auteur dépeint un univers où cette forme de sexualité alternative se révèle fascinante avec son bagage médical, psychanalytique, philosophique, culturel, littéraire et artistique.

Néanmoins, je déplore que, dans le chapitre traitant du sadomasochisme au cinéma, il ne parle que du film Romance. Les films de cette catégorie ne manquant pourtant pas : Histoire d’O de Just Jaeckin, les films de Michael Haneke, Tokyo Decadence de Ryu Murakami, l’incontournable Basic Instinct, le très mauvais Body Of Evidence d’Uli Edel avec Madonna, etc. L’auteur aurait pu consacrer davantage de lignes à ces films en survolant la représentation du BDSM au cinéma.

De plus, il aurait été intéressant que Carlos Seguin consacre un chapitre à la glorification du sadomasochisme dans la culture populaire, plus particulièrement dans la mode, la musique et les arts. Il y a eu Andy Warhol avec son spectacle Exploding. Plastic. Inevitable — auquel participait le Velvet Underground — puis Jean-Paul Gauthier et sa gamme de corsets dont celui conique, popularisé par Madonna. Cette dernière a utilisé le sadomasochisme à plusieurs reprises dans ses œuvres littéraires (le livre Sex) et musicales (les vidéoclips de ses chansons Open Your Heart, Justify My Love, Erotica et Human Nature). Par ailleurs, Rihanna n’a fait que marcher dans ses traces avec sa chanson S & M.

Bref, malgré ces deux lacunes au niveau de la culture populaire et cinématographique, l’essai Le sadomasochisme de Carlos Seguin vaut le détour afin de mieux connaître ce mode d’expression d’une sexualité consacrée à la recherche du plaisir à travers la souffrance infligée par un et subie par l’autre. À lire avec ou sans menottes, cravache et crème fouettée!

Article dans le Quartier Libre: atelier d’écriture de l’humour à l’Université de Montréal

Culture

Être drôle: mode d’emploi

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L’atelier d’écriture humoristique proposé par le Service des activités culturelles de l’UdeM (SAC) vient de s’achever pour la session d’hiver. Il a donné l’occasion à un groupe d’étudiants d’apprendre les rudiments de base du métier d’auteur humoristique, un enseignement singulier auquel Quartier Libre s’est intéressé.

Les étudiants qui veulent apprendre l’écriture humoristique par le biais de cet atelier n’ont pas tous le même objectif. «Il y a des gens qui prennent l’atelier parce qu’ils ont des projets d’écriture et qu’ils aimeraient rendre leurs textes plus drôles, observe la diplômée de l’École nationale de l’humour, auteure pour l’émission Prière de ne pas envoyer de fleurs à Ici Radio-Canada Télé, et responsable de l’atelier Justine Philie. D’autres veulent véritablement faire de la scène.»

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Un compte rendu critique de Libérez-nous des syndicats d’Éric Duhaime

Libérez-nous des syndicats d’Éric Duhaime

Les syndicats, de progressistes à défenseurs du statu quo

Dans son essai Libérez-nous des syndicats, Éric Duhaime défend la thèse comme quoi les syndicats, devenus trop gros et puissants, empêchent le Québec de progresser politiquement et économiquement.

Anders Turgeon

liberez-nous-des-syndicats-eric-duhaime-compte-rendu-critiqueActuellement, les syndicats québécois, jadis progressistes, protègent et défendent le statu quo politique et économique de la province. Telle est la thèse défendue par le chroniqueur et polémiste de droite Éric Duhaime dans son deuxième essai Libérez-nous des syndicats. Son livre a été lancé dans la tourmente, sous escorte policière, il y a 8 mois de cela au restaurant Rebel sur la rue Sainte-Catherine Est, à proximité des studios de TVA. Il créait la controverse et se faisait vilipender par plusieurs représentants des milieux syndicaux : Louise Chabot, la présidente de la Centrale syndicale du Québec (CSQ), et Henri Massé, ex-président de la FTQ.

Éric Duhaime le personnage

Afin de mieux comprendre pourquoi Éric Duhaime se voit ainsi dénigré par la gauche et les syndicats, il est essentiel de contextualiser le personnage. Il est détenteur d’un baccalauréat en science politique à l’Université de Montréal et d’une maîtrise en administration publique à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Il a déjà œuvré à la mise en place d’un système politique démocratique en Irak, au Maroc et en Mauritanie au sein de la National Democratic Institute, un ONG affilié d’un autre ONG étasunien, soit le National Endowment for Democracy. Il a travaillé en tant que conseiller politique des  anciens chefs de parti Mario Dumont (ancienne ADQ), Stockwell Day (ancienne Alliance canadienne) et même Gilles Duceppe. Il a œuvré au sein de l’Institut économique de Montréal (IEDM), OSBL véhiculant les idées de la droite économique : libre marché, individualisme, un État aminci et non interventionniste, un climato-scepticisme, etc. Omniprésent dans les médias québécois pour répéter ses mantras idéologiques sur le ton de l’évidence, il a été chroniqueur pour le Journal de Québec et au 98,5 FM.

Aujourd’hui, il travaille avec Mario Dumont, avant à Dumont 360 sur les ondes de V et maintenant à son émission éponyme à LCN. Il collabore également à Franchement Martineau à LCN, tient une chronique dans le Toronto Sun et anime Duhaime le midi sur les ondes de CHOI – Radio X Montréal. Il a cofondé le Réseau Liberté-Québec, un OSBL de droite et, comme je le mentionnais précédemment, a écrit un premier essai, L’État contre les jeunes, paru en janvier 2012. Sans oublier les controverses qu’il a déclenchées en accusant notamment Amir Khadir de dissimuler un agenda islamique ou d’avoir mangé un hot-dog destiné à des sinistrés dans le cadre de la tragédie du Lac-Mégantic.

Une lecture surprenante des syndicats

Le CV bien garni d’Éric Duhaime aide à saisir le personnage populiste qu’il s’est créé. Je m’attendais donc à lire un liberez-nous-des-syndicats-eric-duhaime-compte-rendu-critique-1ouvrage antisyndical bourré de préjugés, comme le laisse présager le titre de son essai et le passage suivant se trouvant dans l’avant-propos de son livre :

« Cette absence [de notes de bas de page et de bibliographie] est délibérée. […] Les citations ou références à des études ou à des statistiques, tout au long du texte, sont généralement accessoires et secondaires pour étayer mon propos. J’ai écrit un pamphlet politique, pas une étude scientifique. J’exprime, d’abord et avant tout, mes opinions. ».

Autrement dit, il ne fallait pas prendre son avis pour du cash.

Or, j’ai été agréablement surpris. Dans son livre, l’auteur ne se pose pas absolument contre les syndicats. Au contraire. Mais il voudrait que ces derniers reviennent essentiellement à la défense de leurs membres et qu’ils soient entièrement redevables de toutes leurs actions envers ces derniers et la société. En ce sens, il dresse un brillant bilan du grand pouvoir d’influence acquis par les syndicats au Québec depuis les années 60. En 13 chapitres, il passe aisément de l’historique des syndicats québécois à la gangrène mafieuse de la FTQ-Construction (actuellement la vedette de la Commission Charbonneau) en passant par l’opacité des livres financiers des syndicats, l’absence de liberté d’association syndicale et une obligation de verser des cotisations aux syndicats suite à l’adoption de la Formule Rand en 1946.

Dans un chapitre consacré à l’infiltration des syndicats dans les organisations de gauche, il traite du reportage d’Alec Castonguay, publié dans L’Actualité du 15 juin 2012, dans lequel il est révélé le rôle discret mais efficace des syndicats dans le conflit étudiant de l’année dernière. Dans d’autres chapitres, il dénonce les fonctionnaires syndiqués de l’État québécois assis sur leurs privilèges, les fonds d’investissement de la FTQ et la CSN ainsi que les lois anti-briseurs de grève qui, selon lui, nuisent aux revenus des entreprises et des travailleurs. Également, il se permet de revenir sur les plus récents conflits de travail, notamment ceux des Couche-Tard et du Journal de Montréal en déplorant que ce type de conflits conduit à une moins grande flexibilité et un coût plus élevé des travailleurs. En somme, il ratisse large sur le pouvoir et la mainmise des syndicats dans les sphères politique et économique du Québec.

Finalement, bien qu’il ait le mérite de dénoncer l’immense pouvoir octroyé aux syndicats québécois depuis des décennies, Éric Duhaime ne présente qu’un envers de la médaille. Il ne prend ses informations qu’auprès des sources qui corroborent ses propos : l’IEDM, l’Institut Fraser, les témoignages de gens qui pensent comme lui, etc. Quant à son style, les redondances dans ses propos abondent d’un chapitre à l’autre, notamment lorsqu’il revient sans cesse aux travailleurs qui ne sont pas consultés par leurs syndicats sur les décisions que ces derniers prennent. Et j’aurais bien apprécié qu’Éric Duhaime laisse à ses lecteurs des notes de bas de page et une bibliographie, car il doit bien posséder une liste de références consultées pour les besoins de son essai!

Quoi qu’il en soit, si vous n’êtes pas effrayés à l’idée de lire un ouvrage d’Éric Duhaime et que vous voulez entamer une réflexion sur la place des syndicats au Québec, la lecture de ce livre est recommandée.

Note: Ce compte-rendu critique a fait l’objet d’un exposé oral dan le cadre de mon cours RED2201: Écriture et médias, à l’Université de Montréal.

Délire à deux d’Eugène Ionesco ou l’absurdité au bar L’Escogriffe

Critique de Délire à deux présenté au bar l’Escogriffe

L’absurde délire en duo

La pièce de théâtre Délire à deux d’Eugène Ionesco, dont les représentations ont eu lieu au bar l’Escogriffe, repose sur l’absurdité des déchirements entre amoureux et entre peuples. Critique.

Anders Turgeon

Lundi le 14 octobre s’est déroulée, en soirée, l’une des représentations de la pièce de théâtre absurde Délire à deux d’Eugène Ionesco au bar L’Escogriffe sur la rue Saint-Denis.
Nous assistons à l’interminable querelle du couple formé des personnages elle et lui (les personnages ne portent pas de nom dans la pièce) dans leur petit appartement. Ces derniers se disputent à propos de pacotilles comme la différence entre le limaçon et la tortue. À l’extérieur du logis du couple querelleur se déroule une guerre, bruits de coups de feu et de détonations à l’appui. Lorsque la guerre prend fin et que les gens célèbrent cet événement, le couple continue de se disputer.delire-a-deux-eugene-ionesco-absurde-absurdite-bar-lescogriffe
L’action de ce délire absurde a occupé tout l’espace du vieil appartement du couple. Et cet appartement occupe tout l’espace du bar l’Escogriffe. Alors, les spectateurs ont pris part à l’action de la pièce puisque les deux protagonistes ont déambulé parmi nous durant le déroulement de la pièce. La mise en scène, simple, mettait l’emphase sur le décor naturel du bar (les murs de pierre) et les comédiens. À ce titre, soulignons les performances admirables de Catherine Huard en femme hystérique et d’Arnaud Bodequin en homme plutôt nonchalant.
En somme, Délire à deux se veut un brillant exercice, à huis clos, sur l’absurdité des antagonismes au sein du couple et de l’humanité toute entière.

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